"En dépit du caractère anesthésiant du défilé des images d’horreur qui nous sont livrées plus ou moins chaque jour dans les froids dédales des algorithmes, certaines réussissent néanmoins encore à nous émouvoir ou nous hanter : je pense particulièrement ces temps-ci à ces images de soldats russes ou ukrainiens qui se font poursuivre individuellement par des drones explosifs téléguidés dans des zones apocalyptiques et sans refuge. Courant dans tous les sens, à bout de souffle, certains implorent désespérément le Dieu-drone et son pilote virtuel avant de disparaître, pulvérisés, dans des éclairs de fumée dignes des effets trompe-l’œil des magiciens et prestidigitateurs. Ces scènes de cauchemar s’infiltreront forcément et durablement dans la psyché collective.
Quand, dans les années 90, les éléments de langage sophistiqués des propagandes occidentales inventaient des termes comme « frappes chirurgicales », on visait à inverser le caractère intrinsèquement mortifère de la guerre en lui substituant celui, prétendument éthique et positif, de « l’acte médical ciblé », proportionnel et professionnel, visant la « tumeur maligne » en évitant les dégâts collatéraux. Les drones militaires - de la même famille élargie de ceux qui ont réduit les paysages de la Terre à une fonction cosmétique anti poétique (« animer » les fonds d’écran 16/9) ou de célébration de l’impotence (nous fournir les instruments de nos déplacements tout en nous dépossédant durablement de nos connaissances et de notre sens de l’orientation géographiques) - peuvent moins que jamais dissimuler leur accointance avec les technologies médicales et autres chirurgies robotiques qui permettent « au chirurgien d'isoler et de visualiser un champ opératoire aussi petit que possible ».
Mais qui dit aujourd’hui « toujours plus petit », veut dire à terme qui s’imposera à toujours plus large. Et ainsi du chauffeur Uber qui vient livrer des légumes transgéniques à Dame Bobo, et ainsi de Robert qui se fait extraire une petite tache sur la peau après ses vacances exotiques sous le soleil de Zanzibar, et ainsi de Sergly ou Valentyn qui cavalent pour leur vie dans l’indifférence de champs de betteraves ukrainiens, depuis longtemps scannés par les systèmes de coordonnées des GPS afin de faire triompher sur toute chose la monstrueuse efficacité de l’abstraction utilitaire."
Publié sur X par Ivan Ellul le 11 juillet 2024
Ivan Ellul évolue sous pseudonyme, il est également le créateur du très réussi petit journal intitulé Communs, dans un souci, me confie-t-il, de ré-appréhender modestement le monde en ses dimensions visibles et invisibles...
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